Centre Claude Cahun

pour la photographie contemporaine

Centre Claude Cahun

Le chant de la lumière

Gilles Roudière

Exposition 08 février — 11 juillet 2020 → Centre Claude Cahun

A la fin des années 1950 aux Etats-Unis est née une nouvelle attitude en photographie, qu'on a pris pour habitude de relier au mouvement littéraire du « stream of consciousness » (le « flux de conscience ») et à la beat generation. Deux photographes majeurs, William Klein et Robert Frank, ont porté, de manière assez distincte, cette approche marquée par un rapport différent à l'appareil photographique (démarche de prise de vue gestuelle et spontanée, décadrages, diagonales, absence apparente de visée…), à la matière des photographies (souvent granuleuse ou floue) et à un récit photographique devenu le résultat subjectif d'une errance sans destination. C'est clairement à cette lignée photographique qu'appartient Gilles Roudière, dont la présente exposition regroupe des images issues de deux séries, l'une réalisée à Istanbul (et intitulée initialement Sous de noirs soleils), l'autre au cours de plusieurs voyages à Cuba, nommée Trova. Il est frappant de constater que ces deux ensembles peuvent se rattacher chacun à l'une des deux approches photographiques initiées par William Klein et Robert Frank dans leurs travaux des années 1950. Avec la série sur Istanbul, c'est comme dans le travail de Klein à New York l'énergie et la puissance graphique qui dominent, la ville étant le lieu où la solitude du photographe se confronte à la multiplicité du visible et à la vie comme expérience collective. La ville est ici un espace brutal de collision des formes, des ombres et des lumières, un dédale de sensations et de rencontres où rêve et réalité se mêlent inextricablement. Ce sont la granulosité de la matière et les forts contrastes qui marquent ces images à la géométrie violente, où la vision du photographe semble aimantée par des entrées fracassantes de clarté et des ombres profondes. Leur captation donne forme à ce qui se rend subitement visible pour un instant, afin, comme le disait Garry Winogrand pour résumer sa propre pratique photographique, de « décrire le chaos de la vie ».
La série de photographies consacrée à Cuba nous fait quitter l'espace unique de la ville et nous entraîne dans une dérive à travers l'île. Elle s'approche davantage de la démarche de road trip qui conduira Robert Frank à la réalisation de son livre The Americans (1958). On n'est plus ici dans une transcription du désordre urbain, mais dans la mélancolie d'un voyage où s'évanouissent les images préconçues de Cuba, de sa culture et de son histoire. Les détails architecturaux, les objets, les silhouettes humaines ou animales, les ciels chargés et les paysages ouverts construisent un espace avant tout mental où dominent les nuances de gris. La photographie se fait ici atmosphérique et intériorisée, proche d'un journal intime reflétant la météorologie affective du photographe. Les variations de lumière et d'ombre traduisent son expérience subjective et solitaire, ses intuitions et son désir de connaître le visible tel qu'il se donne dans le temps.
Une telle expérience photographique conduit à quitter le plus souvent l'idée d'« instant décisif » et à travailler sur les temps faibles, les espaces intersticiels. Gilles Roudière veut restituer le mouvement de la vie dans son obscure confusion comme dans sa beauté irradiante. Son désir de lumière se mêle à une mélancolie de l'ombre qui souligne sa recherche et lui donne sa profondeur. C'est peut-être cette tonalité particulière qui le rapproche des photographes japonais qui lui sont chers. Comme le disait Nobuyoshi Araki à propos des photographies de Daido Moriyama réalisées dans les années 1970 : « Dans ces photographies, la lumière filtre à travers l'obscurité, se métamorphosant en une nuance de gris 1 ». Une telle remarque n'est bien sûr pas uniquement esthétique : elle traduit un rapport au monde fait d'inquiétude et de quête permanente, d'illuminations et d'obscurité, car « chaque journée est un voyage du corps et de l'esprit à travers un labyrinthe (Daido Moriyama 2).

Biographie

Gilles Roudière
Français, né en 1976. Il vit aujourd'hui entre Paris et Berlin. Représenté par la galerie In)(between, Paris.
Membre du projet collectif Temps Zero.
Sélectionné “One to watch” par le British Journal of Photography, 2014.
Leica galleries international portfolio award, Rencontres d’Arles, 2017.
Monographie TROVA finaliste du prix Nadar 2019.

Infos pratiques

Centre Claude Cahun
45, rue de Richebourg
44000 Nantes

Mer.—Sam.: 15h—19h
Fermeture les jours fériés
Entrée libre